David Robert Jones, l’homme qui s’est dématérialisé
Pas question pour Bowie de jouer les momies âpres au gain, enchaînant à la matière des Stones et autres reformés réformés, les tournées lucratives dans une glauque parodie de gloire passée. Plutôt se suicider médiatiquement, disparaître sans crier gare...
“Ground control to Major Tom, Ground control to Major Tom...”,chantait David Robert Jones en 1969, l’année où l’homme a marché sur la Lune…A première vue, “Space Oddity” évoquait dans ses enluminures psychédéliques un astronaute qui perdait peu à peu le contact avec sa mère Planète. En réalité, l’histoire d’un toxico s’éloignant de la vie à chaque injection – “Lift Off” – avouée dix ans plus tard dans les paroles de “Ashes to Ashes” (“You know Major Tom was a junkie”)… Un flash à demi-prémonitoire à la manière du “When I’m Sixty Four” du Beatle Mc Cartney. Car quatre décennies plus tard, l’homme que l’on appelait David Bowie ne répond plus. Rangé des substances – poudre au nez – qui ont bien failli le rendre fou paranoïaque pendant sa trilogie Berlinoise, il s’est comme dématérialisé.
Il s’est comme effacé de nos écrans
Bientôt deux ans que la star aux multiples avatars a totalement disparu de la surface médiatique de la Terre. En 2004, juste après son dernier album en date (“Reality”), il y avait eu cette première alerte : une angioplastie pour déboucher ses artères bouchées d’éternel jeune homme rattrapé par le temps qui passe. Bowie avait alors calmé le jeu, ne se produisant plus sur scène qu’à de rarissimes occasions pour reprendre son fabuleux “Five Years” avec Arcade Fire ou encore “Heroes” avec TV on the Radio . The Thin White Duke s’était imperceptiblement effacé de nos écrans, des ondes radio, jusqu’à disparaître complètement: en 2008, la chaîne Sky News l’annonçait malade d’un cancer du foie, rumeur jamais démentie.
On l’a dit mort, transfusé en Suisse, avant de le voir déambuler dans les rues de Manhattan avec sa femme Iman et leur fille, shootés par un paparazzi. Mais Bowie n’est jamais vraiment revenu parmi nous, préférant logiquement se soigner, profiter les joies simples de la Vie en famille à celle de la Rock Star vieillissante jusqu’au “Rock’n Roll Suicide” pathétique: “Time to take a cigarette, put it in your mouth…”. Remember ?
A-t-il réellement existé ?
A-t-il d’ailleurs réellement existé en tant que Bowie sous ses identités multiples ? De Ziggy Poussière d’Etoile (1972) au clown blanc de “Scary Monster” (1980) en passant par “Alladin Sane” (A Lad Insane 1973), l’”Halloween Jack” de “Diamond Dogs” (1974) et le Mince Duc Blanc susnommé de “Station to Station” (1978) ? Telle est la question. L’homme qui venait d’ailleurs (“The Man who Fell to Earth”, film de Nicholas Roeg dans lequel il interprétait un extra-terrestre perdu sur notre planète) est peut-être redevenu un de nos frères, un humain comme les autres lassé d’haranguer les foules dans des shows toujours plus délirants (“Sur la tournée Ziggy Stardust j’étais vu comme le Messie. Je crois que j’aurais fais un parfait Hitler”, déclarait-il à “Rolling Stone” en 1975).
“The Rise and The Fall” of a Rock’n Roll Star, “Craked Actor” cela devait arriver…Surtout quand on a été un éternel Dorian Gray, Beau Oui comme Bowie, fascinant des générations d’adolescents. Pas question pour Bowie de jouer les momies âpres au gain, enchaînant à la matière des Stones et autres reformés réformés, les tournées lucratives dans une glauque parodie de gloire passée. Plutôt se suicider médiatiquement, disparaître sans crier gare.
Comme la musique elle-même
Alors David Bowie s’est tout simplement dématérialisé. Très étrangement au moment même où la musique elle-même se dématérialisait elle aussi. Celle qui l’avait fait Roi du Glam Rock, puis Soul Man blanc de “Young Americans”, prophète Növo et précurseur de la musique électronique - comme Krafwerk- dans sa trilogie berlinoise (“Low”, Heroes”, “Station to Station”), puis Dieu des Stades eightie’s dans sa mauvaise période body buildée…puis plus grand chose artistiquement, errant du groupe “Tin Machine” à des albums en forme de tentatives de retour raté à de rares exceptions près (“Earthling” nourri de rythme jungles en 1997, le très beau “Heaven” narrant le chaos post-11 septembre en 2002).
Il est partout dans le réseau
Beats et bytes, mp3, Peer to Peer, iPod et iTunes Store…Ex-Fan des seventies où sont passés la musique et les artistes de nos années folles ? Mais partout dans le réseau of course ! Sur tous les écrans de nos vies, fragmentés, digérés, remixés, évaporés dans le grand bouillon de la néo-culture populaire digitale. Tout simplement. Bowie n’a pas disparu. Il est partout. Et comme hier (Joy Division, Bahaus, les Smiths, Kurt Cobain…) son oeuvre influence tous les artistes importants du moment : Radiohead, LCD Soundsystem, Arcade Fire, TV on the Radio, Of Montreal…j’en passe et des meilleurs…Tous ces groupes confirmés et jeunes gens inspirés ont redécouvert l’apport immense du grand David en le googlisant, en puisant avidement dans sa discographie accessible en deux clics via la grande bibliothèque d’Alexandrie numérique.
Bowie est devenu l’un des Deus ex Machina de notre bande son planétaire, un DJ éthéré et divinisé. Il l’avait prévu. Chantant “I’m a DJ, I’m what I play” dans le méconnu “Lodger” (vidéo ci-dessous). David Bowie, “DJ” 1978:
Et c’est donc ces jours-ci que ressort l’album “Station to Station”, augmenté d’un formidable live de l’époque mixé récemment sous le contrôle de Bowie, qu’il faut réécouter. Pour comprendre son avance sur notre époque, son influence omniprésente sur tous les courants musicaux qui comptent aujourd’hui : post-rock, électro, new New Wave, néo-glam new-yorkais j’en passe là aussi des meilleurs…
Je ne résiste pas au plaisir de cet extrait de la tournée du Mince Duc Blanc:
Bowie a disparu mais il est partout. Et il annonce même de sa retraite immatérielle, sur son site BowieNet, la sortie d’une autobiographie luxueusement illustréequi, on l’espère, n’aura rien d’un memorial pre-mortem. Conçu par Barnbrook, ce livre intitulé “Bowie: Object” est annoncé comme une véritable immersion dans l’univers de l’artiste qui a mis à disposition une centaine de photos issues de ses archives personnelles et a également contribué au projet en écrivant un texte que l’on nous promet “perspicace, plein d’esprit et personnel” pour retracer ses 40 ans de carrière.
David Robert Jones Aka Bowie a aujourd’hui 63 ans et son ultime avatar est invisible…C’est un choix humain et artistique à l’exact opposé de ces “Transhumains”dont je parlais dans mon précédent billet.
P.S: vous n’y croyez pas ? Comparez en bonus ces vidéos :
Article initialement publié sur le blog de JC Féraud: Sur Mon Ecran Radar
Illustration CC FlickR par Affendaddy
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