Quand les marques cherchent à s’emparer du crowdsourcing
Les marques cherchent à impliquer leurs clients en leur demandant leur avis en ligne, jusque dans la conception du produit, du design, de son emballage, ou même du processus de production. Elles tentent de se mettre à l’heure du crowdsourcing…
Grâce à lui, la prise du pouvoir de l’internaute, du « peuple du web », cesserait-elle d’être un mythe? En tous cas, le concept du crowdsourcing commence à irriguer tous les domaines du Web. Au point que les marques cherchent à leur tour à s’en emparer. Car depuis sa naissance en 2006, où il avait été formalisé par Jeff Howke et Howard Robinson, journalistes chez Wired, ce concept (littéralement « approvisionnement par la foule ») mêle des concepts tels que partage d’un savoir commun, Web participatif, ou encore co-création.
On connaissait le crowdsourcing appliqué au bien commun, aux connaissances communes, avec pour prémices l’encyclopédie collaborative Wikipedia, puis au journalisme, avec Spot.Us qui permet aux lecteurs de soutenir les reportages qu’ils aimeraient lire, et bientôt Glipfix en France (qui semble cependant en sommeil). Ou encore dans le domaine de la recherche scientifique, avec Innocentive et YourEncore, où les internautes-chercheurs peuvent plancher sur des questions de recherche-développement posées par des entreprises.
Innover avec les internautes-contributeurs
Depuis environ deux ans, les marques s’efforcent d’adapter le crowdsourcing à leur manière, en concept marketing sur le mode participatif. Plusieurs ont donc ouvert des espaces collaboratifs aux internautes-clients.
Il y a eu quelques avant-gardistes aux Etats-Unis, comme Starbucks, qui a ouvert dès mars 2008 MyStarbucksIdea , où les clients peuvent faire part de leurs idées pour améliorer le service. Un système de vote plébiscitaire fait remonter automatiquement en tête de page certaines propositions – ce qui rappelle furieusement le concept développé par Digg …
Les propositions repérées par l’équipe de recherche sont carrément signalées comme « under review » (à l’étude), tandis qu’un blog, Ideas in action, permet de voir lesquelles se concrétisent.
Début 2010, Pepsi a lancé une véritable opération de recherche d’innovation, avec l’agence TBWA Chiat Day (Los Angeles). Sur la plate-forme collaborative Refresh Everything, tout internaute pouvait soumettre une idée, un projet permettant d’améliorer la société. Ou comment aspirer – gratuitement – les idées des internautes… Mais si Starbucks est allée jusqu’à solliciter les internautes sur la façon d’améliorer son service, se basant donc sur un feedback des utilisateurs, la plupart des marques s’en tiennent à faire participer les internautes à co-concevoir leurs prochaines campagnes de communication.
Co-conception de campagnes de pub
En France, la start-up Eyeka propose, sur sa plateforme collaborative « the co-creation community », de mettre en relation des marques et des « crowdsourceurs » (des internautes comme vous et moi), pour créer, produire et développer de nouvelles campagnes de pub, inventer des nouveaux produits… Pour cela, elle dispose d’une communauté de 95 000 membres répartis dans une cinquantaine de pays.
Résultat : en début d’année, Kickers a reçu via Eyeka des propositions d’affiches bien sympas, que n’auraient pas reniées des « pubeux » professionnels.
Reebok a aussi bénéficié d’un bel afflux de créativité autour de sa demande « quel produit (autre que celui de l’univers du sport) Reebok pourrait-il développer pour les femmes ? ». Bonne question, à laquelle ont répondu 513 crowdsourceurs : du sérum anti-cellulite, du  rouge à lèvres, du vernis à ongles, du parfum, des articles d’équitation…
Ce qui a le don d’agacer les agences de pub classiques, puisque les marques ne passent plus par elles pour monter ces campagnes, mais sollicitent les internautes via Eyeka. Lesdites marques gagnent sur tous les tableaux : elles réalisent des économies d’échelles (plus besoin de s’offrir les conseils coûteux d’une agence, on sollicite des internautes gratuitement), et au passage, s’offrent une image so cool.
Posture marketing
Mais le concept a ses limites, et peut relever de la posture (« je suis cool et je vous écoute ») ou du simple coup de buzz.
Si Danette a soumis aux votes des internautes le lancement de ses futurs parfums, et s’est offerte du même coup un succès d’audience (2 millions de participants en France), au final, les internautes ont surtout servi de simple caution à ses choix initiaux.
Autre #fail monumental, celui que vient de connaître Gap. Comme l’a relaté Mashable cette semaine, Gap a fait connaître jeudi son nouveau logo, qui a suscité un assez large rejet chez les fans. Du coup, la marque a décidé de lancer un appel à contributions de logos alternatifs sur sa page Facebook . Et clairement, qu’une multinationale telle que Gap (on se souvient de la dénonciation de ses pratiques très peu sociales, dont les sweatshops, par Naomi Klein dans No logo), envisage de céder sous la pression du « peuple du Web » sur son identité visuelle, est assez vertigineux. On peut certes y voir une consécration du pouvoir des communautés de fans en ligne – et du crowdsourcing. Mais Gap semble s’être engagé dans cette opération à contrecÅ“ur.
Surtout, comment sont rétribués les internautes-contributeurs ? C’est la que le merveilleux, très philanthrope et idéaliste concept de crowdsourcing interprété par les marques montre toute son ambigüité. Chez Eyeka, les derniers appels à projets en ligne proposent souvent des dotations de quelques milliers d’euros. Difficile de vire de ses créations à ce prix…
Illustrations CC FlickR par Britta Bohlinger et James Cridland
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