L’homme: un document (et une marchandise) comme les autres
"We should document them". Nous devrions les "documenter". Les pucer. Qui ça ? Des chiens ? Non, des immigrants clandestins. C'est l'opinion d'un candidat républicain au Congrès. Vous avez dit "écœurant" ?
“We should document them”. C’est ici le “them” qui a toute son importance. C’est aux États-Unis. C’est un candidat au Congrès, républicain, médecin par ailleurs, qui parle. Qui parle de “pucer” les immigrants clandestins pour les “documenter”.
Littéralement. “To document” : Verbe transitif. Documenter.
Source :
“I think we should catch ’em, we should document ’em, make sure we know where they are and where they are going,” said Pat Bertroche, an Urbandale physician. “I actually support microchipping them. I can microchip my dog so I can find it. Why can’t I microchip an illegal ?”
Traduction :
“Je pense que nous devrions les attraper, les documenter, s’assurer de savoir là où ils sont et ce qu’ils font”, a déclaré Pat Bertroche, un médecin d’Urbandale. “En fait, je soutiens les micropuces. Je peux pucer mon chien pour que je puisse le trouver. Pourquoi ne puis-je pas pucer un clandestin ?”
C’est à ma connaissance l’une des toutes premières fois (la première fois ?) où l’on emploie à dessein le terme de “documenter” pour décrire une ambition qui dépasse de très loin le seul “fichage” (déjà très avancé) des êtres humains. L’une des toutes premières fois où l’on parle de documenter des êtres humains, au sens premier, littéral du terme.
Au-delà de l’écÅ“urement, l’homme est donc bien un document comme les autres… Le pan-catalogue des individualités humaines** continue son inexorable avancée. Les clandestins seront-ils, en plus du reste, les premiers hommes de la zone grise, des hommes-documents doublement orphelins ?
La résistance à la redocumentarisation est décidément d’une brûlante actualité.
** Voir l’article de la revue Hermès dont le pitch est le suivant :
“(…) La gestion des identités numériques laisse entrevoir la constitution d’un pan-catalogue des individualités humaines, ouvert à l’indexation par les moteurs de recherche, et pose ainsi la question de la pertinence des profils humains. (…) Il devient nécessaire de questionner le processus qui après avoir ouvert l’indexation à la marchandisation, après l’avoir parée de vertus « sociales », place aujourd’hui l’homme au centre même du cycle documentaire, non plus comme sujet-acteur, mais comme un objet-documentaire … parmi d’autres. La question qui se pose est donc clairement celle du caractère indexable de l’être humain. Celle de savoir si l’Homme est, ou non, un document comme les autres.”
—
Publié initialement sur Affordance.info sous le titre “We should document them”
Photo Bennett 4 Senate
Laisser un commentaire