Patrice Lamothe, infatigable évangélisateur du web et des usages numériques, mais aussi passionné de sciences dures et de sciences humaines, a répondu à quelques questions pour les visiteurs de la soucoupe.
Petit résumé d’une riche discussion.
Comment est née l’idée fondatrice de pearltrees ?
C’est une réflexion de fond sur le web participatif, que j’ai menée pendant 3 ans à partir de 2004, à une époque où je bloguais activement sur la sociologie et la philosophie politique. Je me suis rendu compte que Jürgen Habermas et Bruno Latour décrivaient particulièrement bien les mécanismes des communautés participatives et que leurs théories s’appliquaient très bien au web social.
J’avais envie de proposer un nouveau moyen d’appréhender le web pour dépasser les limites techniques et aller vers leur vision organique, épurée pour éviter tout parti-pris.
Et dans les faits, comment cela se traduit-il ?
Je commencerai par parler d’une évolution en quelque sorte historique. Pour résumer un peu les âges du web grand public :
- dans les années 90 le contenu était en ligne sur quelques sites faciles à connaître, car peu de gens mettaient en ligne faute de compétences (les entreprises étaient presque les seules). C’est l’époque des portails, des favoris, il s’agissait avant tout de voir. Les enjeux tournaient autour de la mise en page, de l’ergonomie et du temps de chargement.
- au milieu des années 2000, il est devenu plus simple de créer du contenu et de le mettre en ligne, l’ADSL s’est répandu dans les foyers, c’est le début des blogs et des plateformes de partage (vidéo, favoris). Face à la multiplication des données il est devenu plus important de trouver. Les notions d’indexation, de ranking et autres optimisation de recherche devenaient primordiales.
- aujourd’hui, il y a quelque chose qui se dessine, c’est l’organisation du web : comment donner du sens à ce que je découvre en créant des hiérarchies et rattacher des contenus de tous types à des thématiques. La multiplicité des contenus demande non pas un simple rangement, même avec des cases multiples comme avec les tags de Digg ou delicious, mais une visualisation des liens. Et il ne s’agit pas de faire des cartes heuristiques qu’on appelle aussi mind mapping pour faire chic, car pour la plupart des gens c’est du chinois !
Avec pearltrees, j’ai voulu garder le partage qui fait la richesse des médias sociaux que l’on connaît déjà, en ajoutant la couche visuelle qui est rend l’organisation plus “naturelle”. Nos perles apportent donc à la fois la perception et l’organisation.
Qu’est-de qui différencie pearltrees d’autres formes d’archivage et de classement ?
Pearltees est un format universel, et la technique est reléguée dans les coulisses, notre interface épurée doit favoriser l’utilisation par les néophytes. Par rapport au tag que l’on trouve chez delicious par exemple, nous apportons du sens grâce à la représentation visuelle : relier deux perles, organiser un arbre à plusieurs embranchements dit quelque chose de plus que simplement des liens partageant un même tag.
Et puis la taxonomie des tags n’est pas toujours pertinente, parce que certains mots sont polysémiques ou parce que chacun voit des choses différentes dans un même mot-valise.
L’interface est agréable, mais on aimerait parfois pouvoir ajouter des couleurs pour notifier la typologie d’une perle, par exemple en fonction du type de contenu (bleu pour la vidéo, rouge pour le son, vert pour l’image…). Pourquoi ne pas ouvrir la porte à la personnalisation ?
Surtout pas ! Pour rentrer dans des considérations sémantiques, je dirais que toute ontologie résulte d’un choix “politique”, qui est donc arbitraire. Gödel en a fait la démonstration dès les années 30 : tout édifice doit reposer sur des affirmations arbitraires et indémontrables ou incomplètes.
Si j’impose le bleu pour la vidéo, il y aura toujours quelqu’un pour lui préférer une autre couleur. Si je crée de couleurs par catégorie, il se trouvera toujours une nouvelle catégorie qui sera un peu entre les deux. Au fond c’est ce qui anime les classificateurs depuis Darwin. On crée des boîtes pour ranger les espèces, et puis un jour on tombe sur l’ornithorynque et on se prend la tête, on déplace les boîtes pour voir, on en crée d’autres…
En mathématiques, ça porte un nom : le monde est continu, et non pas discret. Entre noir et gris, il y a une palette infinie de tons. Aussi, il vaut mieux rester sur ce qui fait le sel de nos navigations, c’est à dire les trouvailles.
Alors pearltrees, c’est un peu moins de personnalisation graphique pour plus d’efficacité ?
Avec pearltrees, je préfère que chacun puisse comprendre ce que n’importe quel utilisateur a organisé. Il n’y a pas besoin de chercher à comprendre les codes adoptés par cet utilisateur, tout devient plus simple et du coup plus naturel à partager. C’est aussi un des avantages de pearltrees : chacun peut prendre une série de perle d’un autre et les raccrocher à ses propres perles.
Le projet de démocratisation d’Internet, qui fait de chaque utilisateur un média potentiel, est inscrit dans son ADN d’origine. Les 200 premiers utilisateurs pouvaient lire du contenu, mettre en ligne du contenu, organiser le contenu. Nous nous inscrivons directement dans cette ligne.
Dans les dernières nouveautés de pearltrees, qui vient de passer en version beta, qu’y a-t-il ?
Nous intégrons désormais naturellement les flux Twitter, soit d’une personne, soit d’un hashtag. Twitter est dans l’instantané, c’est le real time web, c’est l’influx du monde de l’information et des interconnexions. Mais les tweets sont très volatils. Aujourd’hui on peut les garder en mémoire, puis les ranger, les organiser, les relier aux perles des autres sur un même thème.
Avec pearltrees on apporte la mémoire à l’influx nerveux. Biologiquement parlant, quand la mémoire s’ajoute à l’influx, ça peut déboucher potentiellement sur l’intelligence. Voilà qui devient intéressant, non ?
Merci Patrice.