En bon comique, Mouloud Achour chute son interview sur cette petite question : “Avez-vous déjà copié un livre de quelqu’un d’autre ?”. LA réponse fuse, telle un uppercut : “C’est une question très offensante ! Au point que nous avons presque terminé cette interview. Vous me demandez si je suis un plagieur ! Non, je ne suis pas un plagieur ! Ce serait un crime ! Cette interview est finie”. Visiblement, le comique ne s’y attendait pas.
Une petite question, qui montre que le sujet du plagiat s’est imposé dans l’actualité littéraire, voire banalisé. Il est dans l’air du temps, parce que plusieurs cas de plagiat ont égratigné les milieux littéraires ces derniers mois. Les auteurs des dits trahisons *écarts* démentent, ou se taisent, ou parfois laissent passer de manière décomplexée. Contrairement à James Ellroy, qui exprime une froide colère à cette simple saillie. Une “réaction de vrai écrivain quand on lui parle de plagiat”, remarque Mouloud Achour, ce qui est totalement juste.
Cela peut simple désinvolte, cynique, mais le plagiat s’est-il imposé comme une pratique branchée ? Sur ces derniers mois, plusieurs cas de plagiats, discrets ou grossiers, ont émaillé l’actu culturelle.
Septembre 2010. La carte et le territoire de Michel Houellebecq commence à faire parler de lui, il se murmure qu’il pourrait – enfin – décrocher le prix Goncourt . Pourtant, un accroc apparaît : quelques jours avant sa sortie, Vincent Glad, journaliste à Slate.fr, révèle que Houellebecq, un des écrivains français contemporains les plus connus, a carrément repris des extraits de Wikipedia pour certaines pages de son livre.
Une encyclopédie en accès libre en ligne comme source ! Le scoop du jeune journaliste est totalement avéré, l’écrivain ni la maison d’édition ne démentent. Loin de parler d’un “plagiat” gratuit, il nuance dans son article : il s’agit de “reprises” pouvant “s’apparenter à des «collages» littéraires”, et qu’elle n’ont “rien de scandaleux en regard du style de Michel Houellebecq”. Ce qui est juste, mais donc consacre la “reprise” d’extraits de textes antérieurs comme étant inhérente à un genre littéraire…
Cerise sur le gâteau, on a découvert que le titre du dernier opus de Michel Houellebecq était lui-même celui d’un autre ouvrage : il a été accusé de contrefaçon par Michel Levy, auteur d’un texte au titre homonyme, auto-édité en 1999 et déposé officiellement à la BNF. L’éditeur du livre aurait donc décidé de ressortir le recueil agrémenté d’un bandeau rouge où l’on peut lire “Édition Originale” (joli argument marketing)… En attendant, la justice tranchera sur ce “plagiat de titre” – Flammarion revendique estime tout à fait banale “l’association de deux mots de la langue courante”.
Un exemple plus léger ? Pour le mondial de foot, l’été dernier, la très sexy chanteuse latino Shakira est retenue pour écrire le titre officiel du Mondial : elle sort, “Waka waka”, un morceau aux tons africains, exotiques, léger, qui sera évidemment un tube. Juste, on découvre qu’elle s’est fortement inspirée du groupe camerounais Zangalewa (je vous laisse comparer les deux par ici). Bon, finalement, tout est bien qui finit bien, le groupe n’y voit qu’une simple “adaptation”. Après quelques (juteuses) négociations entre son avocat et Sony Music.
Le 19 janvier 2011, Jérôme Dupuis, journaliste à L’Express révèle une petite bombe : pour sa biographie – pavé consacrée à Ernest Hemingway, Hemingway, la vie jusqu’à l’excès, Patrick Poivre d’Arvor a purement et simplement plagié une centaine de pages d’une autre biographie de l’écrivain, écrite par Peter Griffin et publiée en 1985, épuisée en France depuis. Nous ne sommes plus là dans l’habile reprise de quelques passages, mais une centaine de pages, avec des passages parfois réécrits: L’Express propose des comparatifs sur son site web, puis enfonce le clou le 31 janvier, en comparant de nouveaux extraits (vous noterez en bas de cette page web la pub Fnac.com… pour acheter ledit livre de PPDA ;).
La biographie, qui sort en librairies le 21 janvier, est du coup précédée d’une publicité bien peu flatteuse. Et l’on découvre l’existence d’un nègre (pardon, une “lectrice”) sur cet ouvrage, que PPDA charge bien peu élégamment. D’après l’”auteur” donc, le livre envoyé à la presse avant sa mise en librairie n’était qu’une version provisoire que PPDA n’avait pas validée… même s’il avait dédicacé de nombreux exemplaires. O tempora ! O Mores ! (oui, je pille là Ciceron sans crainte).
Certes, tout est loin d’être éclairci. Mais sans complexes, PPDA réplique à longueur d’émissions radio et de plateaux télé : toute la vérité sera éclaircie, et il entend bien déposer plainte pour diffamation pour ces infamies, assure-t-il. Encore jeudi soir, il joue le rôle de “réhabilitateur” de feu Hemingway – vous comprenez, il faut passer outre ces fausses polémiques, ce qui compte est de remettre en lumière l’œuvre de Hemingway, raconte-t-il tranquillement, dans l’émission de François-Olivier Giesbert jeudi soir.
Le plus fou, donc, étant que même des monstres sacrés de la littérature ou de la musique empruntent à d’autres en “oubliant” de citer leur source d’inspiration. La semaine dernière, on a découvert que même Johnny, notre rockeur national, avait repompé un morceau antérieur pour le premier single de son dernier album, “Jamais seul”, co-signé avec Matthieu Chedid. Il y a quelques jours, le patron de la radio Tropic FM, Claudy Siar, affirmait que la nouvelle chanson de Johnny Hallyday présentait une “similitude frappante” avec le morceau “Madagascar” du groupe réunionnais Ziskakan. Pas besoin d’être un musicos avertis pour entendre, à l’écoute, cette très forte “similitude”…
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Reste qu’il est fort probable que ce plagiat cette coïncidence sera réglée par une généreuse transaction financière – Le Figaro révélait le 28 janvier que ses membres se refuseraient à intenter une action en justice… par amitié. D’autant que les musiciens connaissent une gloire inattendue, leur chanson fait actuellement le tour d’Internet… Merci Johnny.
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Article initialement publié sur le blog Miscellanées
>> photos flickr CC Dullhunk ; Jared Stein
]]>Alors que les espèces animales les plus insignifiantes mettent des milliers, parfois des millions d’années à disparaître, les produits manufacturés sont rayés de la surface du globe en quelques jours. Nous aussi nous serons frappés d’obsolescence comme des “produits culturels voués à disparaitre.
Obsolescence… du latin obsolescens, participe passé d’obsolescere: “tomber en désuétude”. Faisons comme l’auteur, pour expliciter, référons nous en à Wikipedia en assumant ce plagiat-collage créatif à la manière de Perec dont il est injustement accusé pour son dernier livre. En économie, “l’obsolescence est le fait pour un produit d’être dépassé, et donc de perdre une partie de sa valeur en raison de la seule évolution technique, même s’il est en parfait état de fonctionnement”, rappelle fort justement l’encyclopédie en ligne collaborative. Nous y sommes…
A force de “progrès” industriel et high-tech, l’humanité devient obsolescente sauf à “s’augmenter” par la technologie au risque de se déshumaniser nous dit donc Houellebecq. Dans le sillage de Paul Virilio et son “accélération du monde” et surtout de Günther Anders, le premier à avoir théorisé dès les années 50 “l’homme obscolescent”, l’écrivain désenchanté ne nous parle finalement que de cela: la révolution numérique du XXIème siècle – ce nouvel avatar du turbo-capitalisme mondialisé – provoque un phénomène d’accélération quantique du processus d’obsolescence et de déshumanisation initié par la révolution industrielle du XIXème siècle…ÉVOLUER à la vitesse du très haut débit et de l’internet temps réel OU DISPARAITRE, telle est la question aujourd’hui.
Ce n’est pas Houellebecq qui l’a inventé. Nous le savons tous. Tous les cadres en entreprise qui veulent survivre au processus darwinien de la carrière, tous les être humains en quête d’amour et de nécessité reproductive l’ont intégré en leur âme et conscience, sans forcément se l’avouer, le claironner : aujourd’hui nous devons TOUS améliorer nos PERFORMANCES, nous vendre comme des marques. Etre riches, beaux, célèbres, éternellement jeunes, liftés, botoxés, retouchés à Photoshop, bronzés aux UV, greffés, stimulés cardiaquement, transfusés, chimiothérapiés jusqu’au stade terminal. Pour ne pas être seul, NE PAS ETRE UN LOSER, ne pas mourir trop vite socialement et physiquement…
Dans le monde du travail, la course à la vitesse technologique, à la performance et à la rentabilité économique, à la perfection intellectuelle et physique passe inévitablement par la connectivité permanente et l’information-réaction en temps réel… Avec le RÉSEAU qui irrigue désormais la planète de ses veines en fibre optique où coule un flux continu de données digitalisées, il n’y a plus de frontières géographiques, privées et professionnelles, plus d’espace-temps, de nuit ni de jour. J’en parlais aussi d’une certaine manière dans ce billet : “Frères humains, qu’est ce que twitter fait de nous ?”.
Tout cela réduit le monde, et par de là l’homme, à RIEN… ou AUTRE CHOSE de moins humain, ou pire de trans-humain. Houellebecq le constate froidement dans “La Possibilité d’une Ile”:
Toute civilisation peut se juger au sort qu’elle réservait aux plus faibles, à ceux qui n’étaient plus ni productifs ni désirables.
Pour ne pas devenir obsolescent, être éjecté de notre monde productif accéléré par la centrifugeuse numérique, finir comme un SDF crevant dans la rue dans l’indifférence pressée de nos concitoyens, l’homme devrait donc “s’augmenter”…
Houellebecq s’en amuse dans “La Possibilité d’une Ile” en immergeant son héros dans la secte de Raël :“adaptée aux temps modernes, à la civilisation des loisirs, elle n’impose aucune contrainte morale et, surtout, elle promet l’immortalité”, écrit-il. Car “dans le monde moderne on pouvait être échangiste, bi, trans, zoophile, SM, mais il était interdit d’être vieux”.
Mais ce n’est pas une blague. Le prophète de la transhumanité Max More nous invite aujourd’hui à muter sans autre forme de procès :
Nous mettons en question le caractère inévitable du vieillissement de la mort, nous cherchons à améliorer progressivement nos capacités intellectuelles et physiques, et à nous développer émotionnellement. Nous voyons l’humanité comme une phase de transition dans le développement évolutionnaire de l’intelligence. Nous défendons l’usage de la science pour accélérer notre passage d’une condition humaine à une condition transhumaine, ou posthumaine.
Transformation de soi à coup d’implants, de bodybuilding, de chirurgie esthétique, de Viagra, et bientôt de puces électroniques transcutanées, de connexions neuronales directes avec le RESEAU comme dans un foutu film de Cronenberg (voir autre billet sur “l’homme augmenté selon Google”).
Appliquée au sexe et à l’amour, cette course à la performance est encore plus désespérante chez Houellebecq: “Jeunesse, beauté, force : les critères de l’amour physique sont exactement les mêmes que ceux du nazisme”, ironise-t-il dans le même livre. Notre petit chose a théorisé la sexualité “comme système de hiérarchie sociale” dès son “Extension du domaine de la lutte” avec une extra-lucidité qui fait mal:
“Dans nos sociétés, le sexe représente bel et bien un second système de différentiation, tout à fait indépendant de l’argent; et il se comporte comme un système de différentiation au moins aussi impitoyable. Les effets de ces deux systèmes sont d’ailleurs strictement équivalents. Tout comme le libéralisme économique sans frein, et pour des raisons analogues, le libéralisme sexuel produit des effets de paupérisation absolue. Certains font l’amour tous les jours; d’autres cinq ou six fois dans leur vie, ou jamais. Certains font l’amour avec des dizaines de femmes; d’autres avec aucune. C’est ce qu’on appelle la loi du marché (…). En système économique parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables; d’autres croupissent dans le chômage et la misère. En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante; d’autres sont réduits à la masturbation et à la solitude (…)”. Voir ce billet sur la révoltante émission de télé-réalité “L’Amour est aveugle” made in TF1, qui a fait pire encore depuis avec “Qui veut épouser mon Fils”.
Oui, la vision houellebecquienne de l’humanité est pessimiste. Mais elle peut éclairer de sa lumière sombre notre perception du monde et de la société. Il faut dépasser la polémique et les provocations aux accents céliniens de l’auteur, passer vite sur les “pétasses karmiques” des “Particules Elémentaires” (publié en 1998), les jeunes putes thaïlandaises au con étroit de “Plateforme” (2001) et le délire Raëlien de “La Possibilité d’une Ile” (2005).
Décortiquer cette carapace cynique dont il enveloppe son propos pour le lire au fond. Entendre et comprendre son propos pour ce qu’il est: c’est à dire philosophie clinique (de comptoir diront les méchants réfractaires), mais surtout morale publique au sens où l’entendait Montaigne qui le premier se voulait “spectateur de la vie”. Houellebecq est-il notre “contemporain capital” comme Gide ou Sartre en leur temps ? L’écrivain Emmanuel Carrère le croit dur comme fer. Et je dois dire moi aussi, depuis ses tous premiers livres.
Pour s’en convaincre, il faut lire aussi l’essayiste d’”Interventions” paru en 1998 chez Flammarion mais malheureusement épuisé. Extrait :
Les sociétés animales et humaines mettent en place différents systèmes de différenciation hiérarchique, qui peuvent être basés sur la naissance (système aristocratique), la fortune, la beauté, la force physique, l’intelligence, le talent … Tous ces critères me paraissent d’ailleurs également méprisables ; je les refuse ; la seule supériorité que je reconnaisse, c’est la bonté. Actuellement, nous nous déplaçons dans un système à deux dimensions : l’attractivité érotique et l’argent. Le reste, le bonheur et le malheur des gens, en découle. Pour moi, il ne s’agit nullement d’une théorie : nous vivons effectivement dans une société simple, dont ces quelques phrases suffisent à donner une description complète”.
Oui, vous avez bien lu: le supposé Misanthrope Michel Houellebecq aspire seulement et simplement à la BONTÉ, seule condition du bonheur vrai en ce bas monde. Seul moyen de rester humain, de ne pas devenir obsolescent justement, dans une époque où l’immoralité, la cupidité et la loi du plus fort sont érigés en vertus. Houellebecq le cynique n’y croit plus, mais il aspire comme nous tous à l’AMOUR. Et il rejoint en cela le philosophe Alain Badiou que je citais au début de ce billet et qui a écrit cette jolie phrase:
La conviction est aujourd’hui largement répandue que chacun ne suit que son intérêt. Alors l’amour est une contre-épreuve. L’amour est cette confiance faite au hasard
(Éloge de L’Amour, Flammarion 2009)
Finalement Houellebecq est un grand moraliste. Il ne se résout pas à voir disparaître l’humanité en nous alors que l’époque nous y invite. Il ne nous donne aucune clé pour ne pas devenir obsolescent, sauf le retrait du monde.“Le monde est ennuyé de moy et moy pareillement de lui”: cette citation de Charles d’Orléans ouvre “La carte et le territoire”. Et Jed Martin, le héros du livre consacre sa vie d’artiste à “une méditation nostalgique sur la fin de l’âge industriel en Europe, et plus généralement sur le caractère périssable et transitoire de toute industrie humaine”. Au final, “tout se calme”, l’homme n’est plus, “le triomphe de la végétation est total”…
Désespéré Houellebecq ? Sûrement. Mais il est surtout le témoin impuissant et obstiné du processus de déshumanisation technologique à l’oeuvre dans nos sociétés occidentales des années 2000. Il aurait pu résumer ainsi sa position mais c’est Virilio qui le dit pour lui dans cet entretien à “Libération : “Je suis un escort-boy des évidences, j’accompagne une évidence qui ne passe pas ! C’est plus qu’énervant, mais au point où j’en suis, je continue”.
Oui, il faut bien continuer. Mais aussi CROIRE EN L’HOMME (et en sa douce moitié) et ESPÉRER.
>> Article initialement publié sur le blog Sur mon écran radar
>> Illustrations FlickR CC : Roberto Rizzato ►pix jockey◄ Facebook resident, Hendrik Speck
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