Le jury du concours Information is beautiful s’est réuni vendredi 28 septembre pour élire les meilleurs travaux de datajournalisme de l’année. Au milieu des milliers de participants, la palme d’or de la discipline a été décernée à l’application réalisée par l’agence américaine Stamen pour la chaîne CNN : Casualities, Home & Away.
Sur un fond de carte aux terres grises et aux mers noires, des loupiotes brillent en occident et sur les théâtres d’opération, Irak et Afghanistan, et se répondent. Ce sont les soldats envoyés sur le front, disparus au combat, là où ils ont perdu la vie et là d’où ils venaient. Des centaines, classés par âge, nationalité (ou état d’origine pour les Américains) et date de décès. Semés au fil des attentats et des attaques, de Kaboul à Bassorah, ils offrent un bilan glaçant des deux conflits dans cette confrontation des deux cartes.
Si cette carte vaut vraiment la peine d’être explorée, nous ne pouvons que vous inviter chaudement à passer en revue tous les autres nominés : que vous vous intéressiez au budget de l’Etat anglais ou à Metallica, il y en a pour tous les goûts et toutes les mirettes.
Titre : El patron de los Numeros Primos (Les séquences des nombres premiers)
Source : JasonDavies.com
Auteur(s) : Jason Davies
Technique : D3.js
Note : Si vous êtes réfractaire aux maths, cette échelle des nombres premiers propose une représentation poétique bien que rigoureusement mathématique de cet ordre indivisible. Pour chaque valeur, ce graphique interactif trace une séquence de ses multiplicateurs qui serpente autour de l’axe des entiers, accompagné en pied de page de formules mathématiques se rapportant au nombre concerné. Repéré sur le site Data’N'Press inspiration, cette œuvre était accompagnée d’une autre représentation esthétiquement réussie mais un peu chaotique pour les rétifs à la géométrie, NumberSimulation.
Titre : Ville-Monde : Johannesburg
Source : France Culture
Auteur(s) : WeDoData
Technique : infographie
Note : Réalisé avec nos confrères datajournalistes de WeDoData, cette infographie décrit en quelques panneaux la ville de Johannesburg à l’occasion de la dernière édition de la revue hebdomadaire de France Culture, Ville Monde. Marquée par l’Apartheid dans son histoire, la métropole sud-africaine a conservé dans sa démographie et son économie les cicatrices de la séparation entre Noirs et Afrikaneers, décrite ici par quelques saisissantes statistiques.
Titre : Le dieci zavorre che pesano sul sistema-Paese (Les dix poids qui pèsent sur le système national)
Source : Il Sole 24 Ore
Auteur(s) : Il Sole 24 Ore
Technique : infographie
Note : Pour mettre en lumière les faiblesses qui plombent la compétitivité nationale, le quotidien économique italien Il Sole 24 Ore a épluché les statistiques des grandes organisations internationales pour y dénicher dix plaies. Du coût élevé du crédit à la qualité des infrastructures en passant par les factures de gaz et d’électricité, les datajournalistes ont situé l’Italie par rapport aux autres pays européens sur une échelle établie à partir des données de la BCE, de la Banque Mondiale ou du FMI, publiant ainsi une infographie riche en enseignement sur l’économie italienne mais aussi sur celle des autres états membres de l’UE.
Titre : What your beer says about your politics (Ce que votre bière révèle de vos opinions politiques)
Source : National Journal
Auteur(s) : Tracey Robinson, NMRPP / Mike Shannon et Will Feltus
Technique : infographie
Note : Mieux que la célèbre méthode de sondage politique “avec qui prendriez-vous une bonne bière ?”, deux journalistes du National Journal ont tenté de répondre à la question “dis-moi ce que tu descends, je te dirai pour qui tu votes”. En s’appuyant sur les 200 000 interivews de citoyens américains de l’étude sur les consommateurs de l’institut Scarborough, les deux journalistes ont ainsi réparti selon leur affiliation démocrate ou républicaine – ainsi que sur la stabilité de leur vote– , les habitués de chaque marque de bière recensée. On y apprend ainsi que les consommateurs de Heineken et de Corona sont les plus fervents démocrates tandis que les consommateurs de Corona Light ou de Samuel Adams penchent plutôt de l’autre côté.
Titre : The US electoral college explained : why we don’t vote directly for a president (Le collège électoral américain expliqué : pourquoi ne vote-t-on pas directement pour un président)
Source : Guardian
Auteur(s) : Guardian US Interactive team + Harry J Enten
Technique : datavidéo
Note : Essentiel à la compréhension de l’élection présidentielle américaine qui se profile, le fonctionnement du collège électoral reste une énigme pour les habitués du scrutin uninominal. Avec un fond vert et un texte (en anglais) bien calibré, Harry J. Enten du Guardian US déchiffre en graph (bien qu’avec peu d’entrain dans la voie) toutes les subtilités techniques qui amènent à l’élection d’un président ainsi que l’origine historique de cette étrange méthode.
Titre : Les enfants juifs de Paris déportés de juillet 1942 à août 1944
Source : ENS Lyon et CNRS
Auteur(s) : ENS Lyon, CNRS et Gérald Foliot (TGE Adonis).
Technique : Infrastructure Map Server
Note : En deux ans, d’un été à l’autre, 11 400 enfants juifs ont été arrêtés (6 200 à Paris), dont Serge Klarsfeld répertorie depuis 1978 les tragiques histoires. A l’aide de ces données, rapportées au cadastre de l’époque, les équipes de l’ENS Lyon et du CNRS ont constitué une carte de la capitale marquée des points représentant les rapts d’enfants juifs ayant pu être localisés. Un objet de mémoire qui fera l’objet d’une projection en 3D à l’occasion de la fête de la Science à l’ENS Lyon en octobre prochain.
Titre : A handsome atlas (Un atlas de toute beauté)
Source : Brooklyn Brainery
Auteur(s) : Bureau du recensement du Ministère de l’Intérieur américain / Jonathan Soma
Technique : encre, peinture et papier.
Note : Le datajournalisme peut s’enorgueillir de talentueux ancêtres : en fouillant la librairie du Congrès, l’équipe de la Brooklyn Brainery a découvert des trésors de graphes, cartes et histogrammes produit pour certains il y a 150 ans ! Par un système de navigation élégant, le développeur Jonathan Soma ouvre à chacun les données collectées par le service de recensement dans les années 1870 à 1890, en camemberts peints à la main sur papiers jaunis par le temps.
C’est tellement vrai que mon blog, au départ classé dans les blogs politiques, a fini dans les blogs société. Parce que je n’y parle pratiquement jamais des petites manœuvres d’appareils, du jeu de chaises musicales mis en scène par les peoplelitiques, les petites phrases assassines, les grandes stratégies d’accès au pouvoir et sa médiocre réalité quotidienne.
Franchement, savoir qui, de la brochette de clowns complaisamment mis en scène depuis des années par des médias serviles, va servir la soupe aux forces de l’argent lors de la prochaine passation de la louche en or, ça intéresse qui ? En quoi les petits soldats de l’économie de marché triomphante et indépassable — que nous sommes tous — sont-ils intéressés par les luttes de pouvoir des laquais des grandes fortunes et des multinationales dont ils reçoivent prébendes et feuilles de route ? Ce n’est pas comme si nous avions le choix de notre société, le choix de notre mode de vie, le choix du monde que nous voulons laisser à nos enfants, le choix du monde que nous voulons ici et maintenant. Sur ces questions centrales, les espaces de discussion et d’information que sont censément les médias ne s’arrêtent pratiquement jamais.
Parce que ces questions-là, c’est l’affaire des experts et des professionnels de la chose publique. Pas du petit peuple. Lequel doit surtout s’intéresser à quelques petites choses essentielles pour la bonne marche du monde tel qu’il est : trimer comme des bœufs, consommer comme des porcs et voter comme des moutons quand on lui intime l’ordre de le faire et pour les bonnes personnes, de préférence.
En fait de démocratie représentative, nous sommes passés à une démocratie de représentation, dans le sens théâtral du mot.
La scène politique nous sert le spectacle des turpitudes de son petit personnel, un peu comme la mythologie grecque occupait la plèbe avec les drames et les passions qui déchiraient l’Olympe. Et les grands prêtres de l’info, dépendants de cette théâtralisation de la vie publique, amplifient à dessein la dramaturgie politique, se font les caisses de résonance des petites phrases creuses et des basses manœuvres des acteurs de la vie publique et médiatique. D’où l’importance du tapage autour des questions d’appareils ou du monologue du nabot.
Comment s’intéresser encore aux discours, alors qu’ils sont probablement l’aspect à la fois le plus vain et le plus édifiant de la peoplelitique ? Sarko parle, parle, parle. Il raconte des choses, en promet d’autres, mais finalement, que reste-t-il de tout ce bruit de fond informe ? Ces actions. Et il y a loin des promesses aux réalisations concrètes. Parce que c’est ça, la politique : du concret, chaque jour, dans nos vies. Sarko et ses petits copains peuvent bien raconter ce qu’ils veulent : nous sommes en mesure de voir quels sont leurs actions, leurs décisions et leurs résultats. Et nous voyons que le programme politique qu’ils suivent est bien loin de celui qu’ils nous vendent chaque jour. Parce qu’il faut bien appâter le chaland pour continuer les petites affaires entre amis.
J’entends souvent des gens qui m’assurent, la main sur le cœur, comme un gage de bonne santé mentale, que la politique ne les intéresse pas du tout. Ce à quoi je réponds toujours doctement :
Si tu ne t’intéresses pas à la politique, elle, elle s’intéresse toujours à toi.
Se lever tôt est déjà un acte politique. Ce que l’on mange est politique : malbouffe industrielle, produits de saison, cuisiné main ? Quand on s’habille : chez H&M ou une boutique de quartier, et est-ce que j’ai vraiment besoin de ce manteau en plus ou de cette paire de pompes ? Quand on se déplace : ai-je besoin de la voiture pour faire 100 mètres ou est-ce que je peux tolérer de prendre la pluie sur mon visage, quel est le moyen de transport le plus efficace, est-ce que j’ai vraiment besoin de faire ce trajet ou est-ce que je peux faire autrement ?
Même la taille des poils de cul est une affaire politique, comme chaque moment de notre vie, chaque décision de nous prenons ou que nous laissons d’autres prendre pour nous. Est-ce que je vais faire des gosses ? Dans ce monde, dans cette société ? Est-ce que je vais bâtir un foyer, un empire, des châteaux en Espagne ? Est-ce que je traite convenablement chaque personne que je côtoie dans la journée : la caissière, le facteur, le passant, l’autre connard qui conduit si mal ? Est-ce que je consacre mon temps aux choses vraiment importantes ou est-ce que je le gaspille ? Pourquoi n’ai-je pas encore benné la télé et bêché mon jardin ?
Qu’est-ce qui aura le plus de sens dans mon rapport au monde : glisser un bout de papier dans l’urne de temps à autre et laisser d’autres vaquer aux affaires collectives, en râlant abondamment au bistrot du commerce contre leurs petites inaptitudes ou grandes trahisons ou sortir de chez moi, de mon petit confort égoïste et planter allègrement les deux mains dans la merde du monde qui vit, qui bouge et qui évolue ?
La politique, c’est l’action citoyenne, chaque jour, tout le temps. C’est la politique qui a imprégné chacun de nos pas ces derniers mois, pendant que nous exprimions dans la rue notre profond rejet du théâtre des Guignols et de leurs mensonges répétés. C’est la politique qui conditionne forcément le monde dans lequel nous vivons, parce que c’est le politique, le lieu de la décision et de l’action et nulle part ailleurs.
Aujourd’hui, l’essentiel de la force politique dans laquelle nous sommes englués est utilisée à nous convaincre de notre impuissance en tant que citoyen et de la nécessité indépassable de nous soumettre à la loi du Marché. Santé, travail, éducation, vieillesse, tout ne peut plus se penser que comme des activités que l’on doit absolument rentabiliser ou alors réduire à leur plus simple expression, parce que nous devons être COM-PÉ-TI-T-IFS. Cela est notre seul et unique projet de société. Et quels que soient les partis en présence, les conflits de personnes, de structures, ce modèle de société n’est jamais, jamais remis en question. La politique-spectacle devient alors le lieu de la soumission et la seule action autorisée est celle qui permet la soumission de tous à ce modèle-là.
Sans autre forme de discussion.
Nous pouvons pérorer sans fin sur les qualités et défauts supposés de tel ou tel personnage de la commedia della politica, commenter les paroles de l’un, les vêtements de l’autre, nous extasier ou nous indigner des manœuvres de tout ce petit monde pour approcher sa chaise de la table du banquet, tant que nous ne nous mettons pas en tête de vouloir entrer dans l’action, de critiquer la structure même du pouvoir, la manière dont on y accède et ses objectifs réels. La polémique stérile : oui ! La remise en question et la refondation de notre modèle de société : non !
La seule realpolitik que je reconnaisse, c’est celle qui implique l’ensemble des citoyens. C’est celle qui use les semelles, qui bouscule les idées, qui pense des lendemains qui chantent et qui expérimente de nouvelles manières d’y arriver. C’est celle qui se construit jour après jour, même si on n’est jamais, au départ, que trois gus dans un garage.
Bienvenue dans la vita activa.
Billet initialement publié sur le blog de Monolecte sous le titre Politics.
Photo FlickR CC Mark Kobayashi-Hillary ; University of Washington Libraries Digital Collections ; mtsofan.
]]>Dans son diagnostic, l’éditorialiste accuse ouvertement les Français (jusqu’au Président de la République, relevons sa cohérence) d’être dans le déni de réalité : ils se comporteraient comme s’ils ne savaient pas que l’usine-continent asiatique tournait jour et nuit, sans « contraintes sociales » pour créer les échauffements qui jettent les salariés européens dans la rue, condamnant à terme l’industrie européenne. Réfléchissons comme Eric Le Boucher un instant. Si si, j’insiste.
A bien y regarder, l’éditorialiste est lui-même dans le déni de réalité : en proposant une société de l’excellence, basée sur la recherche-développement, il fait comme si la Chine, l’Inde, la Corée et les autres pays asiatiques n’étaient que des monarchies manufacturières. Or, le monde a bien plus changé qu’il ne semble vouloir le croire car à quelques kilomètres des chaînes de montage de Pékin, d’autres usines, universitaires celle-là, produisent à la chaîne plus de diplomés en semi-conducteurs et infrastructures réseaux chaque mois que toutes les universités françaises chaque année.
A l’occasion d’un reportage à Seattle, j’ai rencontré dans l’avion la PDG d’un sous-traitant de Microsoft installé à Pune, près de Bombay. Parfaitement anglophone, elle allait à Redmond rencontrer ses commanditaires avant de rejoindre sa société, dont la majeure partie des salariés ont profité à l’université d’informatique de la ville de partenariat spécifique avec leur futur employeur afin d’affiner leurs compétences pour correspondre à leur futur poste et aux besoins de l’entreprise. Cette société de Pune ne faisait pas de l’assemblage pour Microsoft : elle était chargé de test en sécurité, programmation et développement sur des logiciels d’entreprise commercialisés partout dans le monde.
Par ailleurs, les belles recommendations du général Le Boucher ne sont pas même suivies par les troupes françaises : le fleuron français des microprocesseurs et semiconducteurs ST Microelectronics-Ericsson, malgré des centaines de millions d’euros d’aide publique, a remballé son patriotisme industriel au nom du différentiel de coût de main d’oeuvre entre Colombelle, en Normandie, et Bangalore, en Inde. Ces unités de R&D qui devaient nous sauver se barrent donc là où les têtes sont moins chères.
« Apprenons le chinois ! », hurlent en coeur les plus fins analystes. Les étudiants formés à la chaîne sont de langue maternel mandarin ou cantonais, voire les deux. Dans son « art de la guerre », Eric Le Boucher oublie un critère crucial : démographiquement, l’Europe est un nain face à ses nouveaux concurrents. Et comme la CIA format hier les Talibans qui mettent aujourd’hui l’armée américaine en déroute, ce sont les entreprises européennes qui ont donné aux usines asiatiques toutes les méthodes de baisse des coûts qui, depuis la chute du Mur de Berlin, rendent toute tentative d’alignement vaine. A la manière de la dissuasion nucléaire, la dissuasion low cost contre low cost aboutit à l’anéantissement mutuelle des forces de travail : à appauvrir les salariés, les délocalisations et la logique du « toujours moins cher » épuisent le réservoir de consommateurs plus vite qu’elles remplissent les étalages. La guerre de la quantité est ingagnable.
La seule façon de s’en sortir, c’est d’ouvrir un autre front : celui de la qualité. Pas de la qualité commerciale, de la finesse du R&D… Celle de la qualité des techniques de production : faire des critères sociaux et écologiques la base de notre consommation pour mettre en place une « économie » qui économise l’humain et son cadre de vie plutôt que de se tourner systématiquement vers des sources de travail moins coûteuses. Malheureusement, ce genre de logique risque d’aller contre la marche «normale » des profits financiers, de la spéculation sur les matières premières et les sociétés… Un certain nombre d’habitudes que beaucoup de penseurs et économistes auront du mal à perdre. Tant de mal, peut-être, qu’ils préfèrent envisager de mener une guerre perdue d’avance plutôt que de renoncer à leurs galons.
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Crédits photo CC FlickR theodevil
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