“- L’album de Charlotte Gainsbourg est la grâce quintessenciée – Je suis tellement d’accord avec toi !” Ah ils sont nombreux ces moments gênants sur Internet ! Ces discussions qui dérapent malgré nous pour cause de sarcasme trop crédible ou à l’inverse pas assez grossier pour être détecté.
En ligne, personne ne vous entend rire. Ou ne voit la malice scintiller au fond de vos yeux au moment de balancer une vanne pincée. Résultat : Internet est une grosse mare dans laquelle les quiproquos s’enfoncent comme de gros pavés.
Au-delà des petits ajustement relationnels imposés par le sarcasme incompris (“hihi, mais je plaisantais pour Charlotte, mais les goûts, les couleurs ;D”), ce dernier pose des problèmes autrement plus conséquents. Notamment auprès de la communauté des linguistes, experts en informatique et autre spécialistes désireux de déchiffrer tous nos messages laissés sur Facebook et Twitter – pour ne citer que les gros.
C’est la “science étrange de la traduction du sarcasme en ligne” écrit le Wall Street Journal dans un article paru fin octobre.
Par définition, ce genre de plaisanterie dit “le contraire de ce qu’on veut vraiment dire”, poursuit la journaliste. Le sarcasme s’avère donc “être un obstacle pour les chercheurs et les spécialistes en marketing qui créent des programmes informatiques pour analyser les importantes réserves de bavardages en ligne pour mesurer l’opinion publique sur des produits ou des politiciens.”
L’humour en ligne comme pare-feu aux dernières trouvailles du marketing “digital”. Comme antidote à la récolte des données que l’on laisse sur les services a priori gratuits du web. Qui s’en servent en retour comme potentielle machine à cash. Troll ultime : 4chan n’aurait pas fait mieux.
Alors bien sûr, des stratégies existent pour déceler la malice. En particulier les smileys, ou émoticônes, ces petits visages de travers, avec ou sans nez, si pratiques pour se rendre clairs. Ou désamorcer une situation embarrassante (cf. supra).
Mais le smiley ne suffit pas. Kate Paulin, responsable dans une agence marketing et interrogé par le WSJ, est formelle. “Travailler pour des marques telles que Coca-Cola lui a appris qu’il ne faut pas se fier aux apparences d’un smiley”, détaille le journal. Qui ajoute :
Ados et twittos utilisent des émoticônes de manière sarcastique, à l’en croire. Et un simple point d’exclamation – contrairement à plusieurs – peut en fait traduire un manque d’enthousiasme.
Les ravages de l’humour en ligne sont plus grands encore. Ils se constatent jusque dans les labo de recherche, où l’on s’arrache les cheveux à systématiser la compréhension des double, triple sens des tweets et posts. “Le sarcasme est l’un des problèmes les plus difficiles en informatique”, confie ainsi un professeur d’une université californienne, qui conduit un programme d’analyse des “sentiments” exprimés sur les réseaux sociaux. Ce qui fait dire au Wall Street Journal :
Les programmes informatiques suivent des règles strictes, alors que le langage naturel, en particulier la culture ‘private joke’ du web, non.
Mais les casse-têtes des uns font le bonheur des autres. Ou presque. Pour certains, comme Doug Sak, cette absence de signalétique sarcastique est une mine d’or. Il y a 10 ans, il a créé “SarcMark”, une sorte de spirale avec un point au milieu, qu’il souhaite imposer comme marqueur universel du sarcasme. A en croire le Wall Street Journal, il aurait même contacté plusieurs opérateurs pour imposer son sigle dans les claviers des téléphones.
Contacté par Owni pour en savoir plus, Doug Sak ne nous a toujours pas répondu. Il semblerait néanmoins que le succès se fasse attendre. Mais l’homme d’affaire garde espoir. Et son sens de l’humour : “je ne sauve pas le monde mais cela a un véritable intérêt”. Du sarcasme, évidemment.
Avec le verbe “résister“, comme refrain de son discours de Dunkerque du 19 janvier dernier, François Bayrou a illustré cette ascension. Il résiste à ceux qui ne le voient pas en troisième homme du premier tour de la présidentielle. Le candidat du made in France talonne à présent Marine Le Pen. OWNI a voulu savoir quels termes de ses discours avaient disparu ou au contraire apparaissaient, corrélé à sa position dans les sondages. Cliquez sur l’image ci-dessous pour prendre connaissance de cette cartographie du lexique Bayrou :
Pour le premier discours que nous avons utilisé, celui de Giens du 18 septembre tenu à l’occasion de la clôture de l’université de rentrée du parti, les thématiques de l’école, de la production (industries et entreprises principalement) et l’écologie très présentes, leurs occurrences flirtant avec la trentaine. Quand il utilise 25 fois la thématique de l’école, celle de la production revient 27 fois. Et il n’oublie aucun type de production, allant jusqu’à évoquer celle culturelle :
Je parlerai de culture parce que je parlerai de création. Je n’ai jamais fait de différence. J’ai tout à l’heure commencé par l’enjeu de la production. Or, la production, c’est, à mes yeux, également sans distinction la production agricole, la production industrielle, la production scientifique, la production technologique, et la production culturelle. Tout cela relève de la même création et toutes ces productions s’imbriquent et se relaient. Le design, par exemple, le numérique, par exemple, le logiciel, par exemple. C’est à la fois de la culture, de la science, de la recherche et de la production, y compris industrielle, et de la commercialisation. Et, donc, si nous voulons reconstruire la création, il faut défendre et reconstruire toutes les créations, au premier rang desquelles la création culturelle.
Mais ce discours n’a pas donné à François Bayrou l’occasion de mettre à mal ses opposants principaux et les autres partis. Moins offensif envers la droite et la gauche que dans les discours suivants, il ne s’attaque pas encore à la responsabilité des différents partis – UMP et PS – dans la situation française. Puisque pas encore candidat. Cette scission entre Bayrou non-candidat et Bayrou candidat apparait rapidement lors du discours du 7 décembre, notamment avec l’augmentation de l’utilisation du terme de “responsabilité” : les autres partis ont chacun un rôle dans la crise vécue par la France, et par extension l’Europe.
Dans les discours qui vont suivre sa candidature du 7 décembre, l’école ne réapparait plus, jusqu’au 19 janvier. Dans le même temps, la courbe des occurrences du terme “responsabilité” augmente sensiblement et de la même façon que le pourcentage d’intention de vote au premier tour. Alors qu’il pointe du doigts les précédents gouvernements et les différents candidats et partis, il récupère 5 % des intentions de vote, passant de 7 à 12 %. Et parallèlement à ce constat, les mots “France” et “pays” prennent de moins en moins de place.
Si la première scission dans le corpus de discours se situe au moment de sa candidature, la seconde intervient entre les discours du 10 et du 19 janvier. Là, certains termes et certaines thématiques reviennent sur le devant de la scène. Le 19 janvier, la thématique de la “production” (prononcée 22 fois), de “l’école“, de la “responsabilité” des dirigeants (16 fois), de la “langue” – seul candidat à évoquer la langue française et ses déclinaisons, le régionalisme de François Bayrou se retrouve – et de “l’écologie” (prononcée 3 fois mais occupant un long paragraphe de son discours). S’y ajoutent des thèmes jusque là jamais évoqués, tels que le “modèle“. Et le verbe “résister“, respectivement prononcés 17 et 19 fois au cours de son discours de plus d’une heure. Avec l’apparition du terme, un ensemble d’expressions sont associées, entre autres, la nécessité de réformer les modèles français en place, manière pour François Bayrou de montrer l’impact des choix des différents gouvernements et partis au pouvoir.
Alors, devant tant de recul, tant de démissions, tant de capitulation, il nous faut proposer aux Français dans cette élection une orientation nouvelle fondée sur deux volontés, deux esprits : l’esprit de résistance et l’esprit de reconstruction. Je dis reconstruction parce que tout ce que nous avons perdu, nous l’avions. Tout ce qui s’est éloigné, vous savez bien que c’était notre vie de tous les jours. Eh bien, je vous le dis, l’enjeu de cette élection, c’est que ce que nous avons perdu, ce qui s’est éloigné, ce qui a disparu, ce qui s’est égaré, mes amis, citoyens, nous allons le retrouver ! Nous allons à nouveau faire rimer le nom de France avec le beau mot de résistance !
Dans le premier discours du corpus, celui de Giens, il ratisse large et appuie fortement sur toutes les thématiques : “écologie“, “famille“, “démocratie“, “monde“, “école“, europe“, “enseignement“, “changement“, “éducation“, “production/produire“. Avec une proportion de termes se rapportant à l’école aussi conséquente que celle concernant la production française et le “produire français“.
Tous ses discours sont construits sous forme d’une démonstration mathématique ou d’une dissertation de philosophie. Agrégé de lettres classiques et trois fois ministre de l’Éducation nationale, François Bayrou n’a pas oublié sa formation première. Et à chaque introduction correspond un long passage de remerciements pour ses collaborateurs et proches.
Alors que les mots “France“, “français” apparaissaient de manière récurrente lors de ces discours précédents, à Dunkerque, François Bayrou s’est focalisé sur le mot peuple (46 fois). Dunkerque, ville industrielle, n’est pas choix anodin et fait écho à l’un des axes majeurs de sa campagne et le “Produire en France”. Si François Bayrou a mis du temps à se réveiller en proposant des discours très longs sans thème approfondi, il a adopté une cible précise pour son dernier discours qui lui permet de renforcer sa montée précipitée dans les sondages.
Photo de F. Bayrou, discours au Zénith en 2007 par Gueorgui Tcherednitchenko [cc-byncsa] via Flickr
Pour la récolte des données, nous avons utilisé le site du MoDem et le traitement infographique a été réalisé par Marion Boucharlat.
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